Il m’arrive d’écrire des textes esthétiques et philosophiques sur la musique qui peuvent prendre des formes diverses. J’ai décidé de les publier pour vous en faire profiter. N’hésitez pas à y réagir si vous le souhaitez, soit en m’écrivant ([email protected]), soit sur le forum du site, soit sur le groupe de discussion « Musicaeterna » (pour vous y inscrire, il y a un lien dans le menu de gauche). Aussi, si vous le souhaitez, je peux publier ici vos propres contributions !

La musique classique, une musique qui s’écoute

Il y a beaucoup de préjugés qui entourent la musique classique ; musique de vieux, musique de bourgeois, de snobs et de puristes, autant de traditionalistes qui refusent le progrès, le changement artistique, les nouveaux codes sociaux, les nouvelles tendances, les nouvelles valeurs. Il s’agit de préserver un patrimoine musical d’une richesse de créativité que beaucoup de gens pensent vieux-jeu, poussiéreux, bon pour les musées. Pourquoi s’obstiner à écouter du Vivaldi, du Mozart, du Strauss, musiques vieilles et démodées de centaines d’années ? N’est bon que ce qui actuel, ce qui est à la mode, ce dont on parle partout à la radio, à la télévision, dans les journaux, tout ce qui reçoit une publicité importante et qui fait l’objet d’une commercialisation à grande échelle ; il faut vivre dans son temps nous dit-on, n’accepter que ce qui est neuf, frais, en vogue. Une des caractéristiques essentielles et propres au mécanisme de la société de consommation, c’est le caractère éphémère de ses produits. Tout ce qui paraît, disparaît presque aussitôt. Telle est la règle : tout ce qui est bon, meilleur, c’est ce qui n’est pas encore sorti, c’est ce dont on parle, dont on fait l’éloge, la publicité, mais que l’on a pas encore réellement, physiquement entre les mains. Une fois sortis, ces objets sont presque immédiatement engloutis par la machine à consommer, ce monstre qui dévore tout sur son passage, qui toujours et encore avance, de plus en plus vite, vers le différent, le neuf, l’anecdotique.
La musique classique n’a pas sa place dans les entrailles de ce monstre international que nous avons-nous-mêmes créé, et qui n’est autre que le Dictateur de nos désirs et de nos envies les plus immédiats et les plus primitifs. Je ne parle pas des disques de musique classique, encore moins ceux d’André Rieu, je parle de la musique en elle-même, qui n’existe que lorsqu’on la joue et qu’on l’écoute.
La marginalité du classique dans nos sociétés modernes, son authenticité vis-à-vis des autres genres musicaux, font naître les préjugés que j’ai mentionnés tout à l’heure. Mais il y a d’autres causes à ce mépris : la faute à l’éducation d’abord. La faute à la société, d’une manière plus générale ; le fait que nous surgissons de nulle part à l’intérieur du Monstre, et que nous sommes tout entiers portés par sa marche en avant, sans que l’on nous demande notre avis. La majorité des gens s’en contente, la société leur façonne une image qui n’est autre que l’image de la société elle-même, et donc ils ne voient pas pourquoi ils devraient se rebeller contre un Monstre qui pour eux n’est pas un monstre, mais un Dieu bienveillant, qui leur permet d’accomplir leurs désirs les plus immédiats. Mais il y a tout de même un nombre plus petit d’individus qui se rendent compte qu’ils sont menés en bateau, que la société n’est pas un Dieu bienveillant, mais un véritable dictateur qui nous appâte et qui contrôle notre volonté et notre liberté ontologique, spirituelle et psychologique.

Pour moi, la musique classique est un moyen de préserver notre richesse première, notre authenticité humaine, notre liberté d’être et d’exister, tout simplement. Le classique est un genre musical qui échappe complètement au caractère éphémère de la société ; la musique classique est intemporelle, parce qu’elle est création artistique authentique et pure ; elle surgit des seules forces humaines et spirituelles les plus naturelles, les plus vraies, les plus métaphysiques. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de création ni de créativité au sein de la société ; ce que je dis c’est que cette créativité est profondément influençable et influencée par les artifices sociaux , entachée par une volonté commerciale, d’argent et de bénéfice. Je ne prendrais pas d’exemple au risque d’éveiller du mépris chez certains, mais je crois qu’il suffit d’un minimum de réflexion pour distinguer entre les créations qui ont une vocation purement artistique et spirituelle, et celles au contraire qui ne visent que le succès commercial.

Ce qui m’agace le plus, c’est bien ça : le problème de l’authenticité et de la sincérité de l’inspiration artistique. Pour moi, une musique n’a de valeur spirituelle que si sa création fait l’objet d’une inspiration psychique tout à fait sincère. C’est pour cela que je me tourne essentiellement vers les musiques de la période romantique, de Schubert à Mahler, Sibelius et Richard Strauss. Ces compositeurs en particulier, ressentent un amour profond pour la Nature, la Vie, en bref l’aspect éternel, authentiquement spirituel des choses. Et cela se ressent admirablement à travers leurs œuvres.

Je pense qu’il faut absolument distinguer les musiques qui ne visent qu’au divertissement, et celles qui cherchent à exprimer quelque chose d’éminemment profond et spirituel. C’est là à mon avis un des critères artistiques les plus essentiels pour distinguer de la qualité d’une œuvre avec une autre. Je crois par ailleurs que l’écoute musicale admet plusieurs degrés différents, et que trop souvent on se contente du degré le plus superficiel, celui qui fait par ailleurs de la musique un simple divertissement. Admettons pour simplifier deux plaisirs auditifs différents. Le premier plaisir auditif, le plus fréquent, c’est celui qui nous procure une certaine émotion de surface ; ce qui fait que nous sommes émus par une belle mélodie, accrochés par un rythme ou un motif musical particulier ; il s’agit là d’une écoute distraite, une écoute qui est en quelque sorte extérieure à l’œuvre elle-même, et les émotions naissent de cette approche superficielle de la musique. L’autre plaisir musical, qui est manifestement plus rare et plus difficile à expérimenter, émane d’une écoute nettement plus attentionnée, concentrée et approfondie, une écoute active qui permet de saisir et d’embrasser toute l’immanence des œuvres, leur beauté intérieure, leur contenu spirituel qui se niche en leur sein le plus profond.
Dans le cas de la musique classique, il est possible d’avoir ces deux approches. Mais je ne voudrais pas démystifier la musique classique, lui ôter son contenu esthétique et spirituel qu’il faut absolument préserver selon moi. Il ne faut pas que la musique classique soit rabaissée à un simple divertissement lucratif, une source d’émotions et de sensations passagères qui assombrissent le sens plus profond de cette musique. Certes, il faut l’avouer, même en musique classique il y a des œuvres plus légères et plus divertissantes qui sont pauvres, spirituellement parlant. Elles sont appréciables d’une autre façon. Mais je voudrais pouvoir mettre en évidence le double plaisir dont j’ai parlé, et je voudrais modifier l’attitude de bon nombre d’auditeurs qui n’apprécient pas le classique à sa juste valeur. Il y a des gens qui vont écouter de la techno, du rap ou je ne sais quoi d’autre, et qui vont ensuite apprécier un morceau de classique ; à mon avis, souvent ces gens-là ne font qu’apprécier le classique au premier degré, et tant qu’ils ne verront aucune différence essentielle entre les différentes musiques, ils ne pourront jamais apprécier ce que certaines musiques ont de plus beau et de plus grand à offrir. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui ne s’arrêtent pas aux préjugés malsains, et qui se disent aimer la musique classique. Je pense qu’une grande majorité de ces gens ne fait qu’apprécier cette musique au premier degré. Ce sont des gens qui parviennent à se libérer des préjugés qui leur font obstacle et qui reconnaissent une certaine beauté à la musique classique. Mais ces gens-là comprennent le classique comme n’importe quel autre genre musical, ils la comparent à des chansons de variété, des pièces populaires où n’importe quel autre divertissement du genre. Ils font fusionner l’univers du classique avec celui de la Musique en général, ils mettent tout dans un même paquet et ne font pas de distinction essentielle. Je ne remets pas en cause les goûts de ces personnes ; c’est déjà une magnifique chose qu’elles aient suffisamment de bon sens et d’intelligence pour se défaire des préjugés qui ternissent l’image du classique. Mais à ces personnes-là, je leur dis pourtant qu’elles passent à côté de quelque chose d’encore plus magnifique, d’encore plus merveilleux. Il y a une autre écoute possible de la musique classique ; pour le sentir, je pense qu’il faut modifier son attitude vis à vis de la musique ; cessons d’entendre la musique, et écoutons-là. Ecouter, cela implique activité, concentration, vigilance : autant de dispositions de l’esprit nécessaires pour comprendre la musique. Et jusqu’à présent, seules certaines musiques du répertoire classique m’ont semblé être suffisamment riches, nuancées et raffinées pour mériter une telle écoute. Il y a en classique certaines oeuvres de compositeurs où il est tout à fait nécessaire d’avoir une écoute attentionnée, sans quoi l’on ne comprend pas et n’apprécie guère la musique. Certaines symphonies de romantiques tardifs tels Bruckner et Mahler par exemple, où Sibelius et Chostakovitch, pour évoquer des oeuvres que je connais. D’autres musiques s’imposent à nous sans que l’on ait le besoin d’aller les trouver, c’est le cas de toutes les musiques qui paraissent plus légères, plus « compréhensibles » au premier abord.
Je ne fais ici que développer certaines idées qui ne sont autres que l’expression de ma propre expérience de mélomane, et mon seul but en écrivant ceci est d’essayer de faire remarquer à certaines personnes que la musique classique, à mon avis, ne s’écoute pas de la même façon que les autres musiques, et j’espère convaincre et encourager les gens à suivre mes conseils, tout simplement par souhait de partager mon plaisir et ma passion musicale.