Version rare de L’Arlésienne de Bizet à l’Opéra Comique
Du 18 au 28 juin, Georges Bizet (1838 – 1875) est à l’honneur à l’Opéra Comique, à Paris. Des Pêcheurs de perles aux œuvres de la Belle Epoque, la maison de la rue Favart balaie un répertoire rarement joué.
Prenez une trentaine de musiciens piqués à quelques grands orchestres, une comédienne aux talents aussi éclectiques que multiples (Maria de Medeiros), mixez les sous la baguette d’un jeune chef sémillant (Benjamin Levy), au son d’une musique française à la fois célèbre (L’Arlésienne de Bizet) et rare (oeuvres de Reynaldo Hahn, Albert Roussel), le tout dans la bonbonnière dorée de l’Opéra comique : vous obtiendrez une soirée riche en émotions contrastées, toute en verve et tragique mêlés.
Pour clore sa saison, l’Opéra comique monte actuellement Les pêcheurs de perles de Georges Bizet, et élargit les perspectives avec d’autres œuvres du compositeur et de ses contemporains : des trésors aussi précieux qu’oubliés. Mardi 19 juin, l’Ensemble vocal et l’Orchestre de chambre Pelléas proposait donc, sous la direction de Benjamin Levy, raretés et œuvres parfois plus connues, sous une forme inédite.
Lire le programme est déjà tout un poème, un festival de résonances humoristiques, lyriques, ou folkloriques : Suite-Fantaisie tirée du Testament de la tante Caroline d’Albert Roussel (l’arrangement est signé Thibaut Perrine), Aux étoiles, entracte pour un drame inédit d’Henri Duparc, Suite hongroise pour piano, violon, percussions et cordes de Reynaldo Hahn, et enfin L’Arlésienne, mélodrame sur un texte d’Alphonse Daudet de Georges Bizet.
On goûte d’avance le plaisir d’écouter d’une oreille vierge des pièces peu voire pas enregistrées, encore absentes des tréfonds mêmes d’Internet sur des sites comme YouTube. Les salons proustiens et leur sensualité feutrée ne sont pas loin. En ouverture du concert, les basses enlevées de l’opéra bouffe de Roussel invitent à une fête… qui se clôturera dramatiquement. Entre temps, le violoniste Pablo Schatzman et la pianiste Lidija Bizjak offrent un duo survolté, soufflant au rythme des cascades diaboliques de la Suite hongroise de Reynaldo Hahn.
Mais le clou de la soirée est une version originale de L’Arlésienne, avec chœur et récitante. On sait peu que la célèbre suite pour orchestre n’est que le condensé d’une musique de scène, destinée à accompagner une pièce de théâtre signée Alphonse Daudet. A sa création le 1 er octobre 1872 au Théâtre du Vaudeville, l’œuvre est un cuisant échec, pour l’auteur comme pour le compositeur. Les spectateurs s’ennuient, rapporte le livret du programme… Leur manquait peut être le timbre évocateur de Maria de Medeiros et sa candeur alternée de fougue passionnée ? Ou les couleurs d’un orchestre rondement mené par la baguette alerte et presque amoureuse de Benjamin Levy ?
A l’Opéra Comique, chacun retient en tout cas son souffle, et se glace au récit de la triste fin de Frédéric, héros mort d’avoir trop aimé sa belle mais insaisissable Arlésienne. La farandole des joyeux tambours et piccolo résonne alors d’une ironie implacable et cruelle : sous le soleil de Provence, comme dans la pénombre d’un théâtre, les cœurs blessés saignent à la même « tendre indifférence du monde ».